Mise à jour : 04 mai 2013.

nullChauffeur de taxi à Buenos Aires, une vie difficile !

 

Voila surement un complément à l’article déjà écrit en octobre 2009 sur toutes les stratégies des taxis de Buenos Aires pour gagner un peu plus d’argent sur le dos de leurs clients. (Lire : A savoir avant de prendre un taxi). Cette fois ci, plaçons nous de l’autre coté de la barrière c'est-à-dire mettons nous dans la peau d’un « tachero » (argot, celui qui conduit un taxi) qui doit se débrouiller pour arriver à payer ou tout simplement louer son véhicule pour la journée.

Cet article est monté avec l’aide d’autres articles apparus dans le quotidien Le Clarin daté du samedi 04 mai 2013. (Article : El negocio con su lado oscuro et La suba de costos complica el trabajo de los choferes de taxi.).

nullLe cout de devoir louer un taxi :

  

Comme la location d’un taxi et son entretien augmentent, les seuls qui peuvent vivre aujourd’hui dignement  de ce métier sont les taxis qui sont eux même propriétaires de leur véhicule et de leur licence. En effet, la location d’un taxi s’élève à 400 ARS par jour (40 € par jour. Cours parallèle en avril 2013), et il faut au moins travailler 14 heures pour mettre enfin de coté 200 ARS (20 €) à la fin de la journée.

 « Aucun d’entre nous fait ça par choix » dit Jorge Peña, 30 ans déjà de vie de taxi derrière lui, arrêté dans une station service pour faire le plein de gaz. (A Buenos Aires, la presque totalité des 40.000 taxis roulent au GNC, gaz naturel comprimé). « On devient taxi par circonstance, croyant que ca va durer uniquement un temps avant de rebondir vers une autre profession, et à la fin on y passe toute sa vie. On ne peut pas tomber malade, ne pas prendre un seul jour de repos. On roule tellement depuis le matin qu’Il y a même un moment on perd notion du temps ». Jorge, lui a de la chance il est propriétaire de son propre taxi, mais ne comprend pas comment ceux qui louent leur véhicule puissent s’en sortir.

 On estime que dans la ville de Buenos Aires (Capital Federal, Intra muros, donc sans compter la banlieue), il y a un peu moins de 40.000 licences de taxi. Pour info à Paris et pour la banlieue petite couronne département 92, 93 et 94, il y a seulement 17.000 licences. Soit un taxi pour 392 habitants. (17.000 / 6.664.000 habitants), à Buenos Aires nous avons un taxi pour 72 habitants. (40.000 / 2.890.000 habitants). 5 fois plus de taxi qu’à Paris.

Les chauffeurs de taxi à Buenos Aires, il y a de tout, des honnêtes qui rendent à leurs clients des sacs remplis de billets retrouvés sur les banquettes arrières, et d’autres qui refilent aux mêmes des faux billets de 100 pesos et qui font payer les courses en USD, alors que le taximètre affiche un prix en ARS.

Vidéo : Une expérience lancée à Buenos Aires en 2011 par TED. Rapprocher les idées de TED du citoyen commun de Buenos Aires. Pour cela faire appel à ceux qui parlent le plus : les taxistas. On reunit 50 taxis, on leur fait écouter les idées de TED qu'ils vont ensuite répeter aux autres. 50 taxis, 20 courses par jour chacun =  7.000 personnes touchées. il fallait y penser ! Mais qui est TED ? TED est une organisation internationale sans but lucratif qui a pour but de "propager des idées novatrices". TED est installé a Vancouver et à New York et existe depuis 1984.

nullUne course contre le temps ou il n’est pas facile de gagner :

Francisco, 55 ans, est taxi depuis 2000. Il était commerçant et a fait faillite en 1996. 4 ans de petits boulots par ci par là avant qu’un ami lui offre de lui louer un taxi. Depuis, voilà 13 ans qu’il est « tachero » mais cherche aussi un autre travail. « Les premières 8 ou 9 heures sont seulement pour payer la location du véhicule. Je démarre le matin en sachant déjà qu’il faut que je mette de coté 450 pesos de location, 40 pesos pour le gaz, et quelques pesos de plus pour pouvoir manger. Ca doit être surement le seul métier au monde ou tu dois payer pour pouvoir travailler. Les bons jours je fais 700 pesos de recette, mais il faut tenir au moins 14 heures de suite derrière ton volant. Fais tes calculs toi-même et vois ce qu’il me reste a la fin de la journée (700 – 450 – 40 – 50 = 160 pesos = 16 Euros).

 En fait les chauffeurs attendent le weekend et les jours fériés. Non pas, pour se reposer, mais parce que les dimanches ils ne payent pas de location, le premier jour férié du mois non plus, si il y a d’autres jours féries dans le mois, c’est moitié prix de location qu’un jour normal, et enfin les samedis la location est de - 20% sur un jour de semaine. Le bénéfice se fait donc le weekend end et non pas en semaine.

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nullEtre une femme au volant d’un taxi :

  

Stella Maris est taxi aussi depuis janvier 2002. Une des rares femmes à Buenos Aires à exercer cette profession. Elle a un mari mais aussi un frère qui sont aussi « taxistas ». Au début, il lui arrivait de tourner en rond pendant 3 heures avant de trouver un passager. Elle faisait des journées à 20 pesos (en 2002 : 20 pesos = 5 euros), et pensait que cette profession n’était pas faite pour elle.

 « Quand tu travailles avec les appels radio, tu acceptes un voyage et quand tu te rends sur place pour charger le client, tu te rends compte qu’il y a déjà un autre taxi qui te crie « eh tu veux prendre tous les voyages pour toi !, ou alors ils te suivent pour que tu leur donnes la moitié de ta course, ils sont très machistes »

 D’autres fois dans les files de taxis qui attendent, quand ils voient qu’il y a derrière eux une femme, ils partent. Ils ne peuvent pas tolérer se faire doubler par une femme, car ils savent que les clients préfèrent les femmes chauffeurs et que les passagers vont se diriger vers son taxi plutôt que de prendre le premier de la file. Les « porteñas » (habitante de Buenos Aires) préfèrent être conduites par des femmes, et les porteños disent qu’elles conduisent plus prudemment.

Un article sur Stalla Maris dans le Clarin du 23 mars 2012 :"Nadie me dice anda a cocinar"

nullOn ne devient pas taxista par choix :

 

A 61 ans, Daniel Acrisio dit qu’il a en horreur de monter dans son taxi le matin. Il sait déjà que ca va être une journée difficile. Ca fait une journée te demie qu’il ne roule pas, son véhicule est resté entre les mains d’un garagiste. Il n’aurait jamais pensé avant qu’il allait passer plus de la moitié de des heures de chaque année derrière le volant.

Avant la crise (celle de 2001-2002), il avait voyagé six fois en Espagne, dix fois aux Etats-Unis, une bonne vingtaine de fois au Chili et très souvent au Brésil. Il a une licence en administration d’entreprise et il est arrivé a gagner 9.000 dollars par mois dans les années 90. Il a travaillé avec l’architecte espagnol Santiago Calatrava (celui qui a dessiné le pont aux femmes de Puerto Madero). Il a été gérant administratif de l’Hôtel Hilton de Buenos Aires. Il possédait deux voitures, deux appartements. Après la crise, on la licencié et c’est retrouvé deux et demi sans travailler. Et puis il a recommencé a travailler au poste de responsable d’un local Noble Repulgue (chaine de vente d’empanadas et de pizza), avec un salaire de 1000 pesos par mois (valeur de 300 € par mois en 2004). Aujourd’hui à 61 ans il est taxi, résigné, il ne cherche même plus à changer de métier, on cherche des jeunes, dit il.

“Je ne suis vraiment pas fait pour ça », ajoute t’il « Il y a des choses que je ne comprends pas, ni même que j’essaye de comprendre, et je me limite à m’y habituer. Et quand on me demande, et toi que fais tu ? Je réponds : une personne qui conduit une voiture de location. Je n’ai jamais eu l’expérience d’un vrai « taxista » (celui aime ça) ni même d’un « tachero » (dans le sens que vibre avec sa tôle, qui ne vit que pour ça) ». « Ces derniers temps, le travail a baissé de 25 à 30 %, alors il faut travailler plus longtemps pour arriver à payer les frais de la journée ».

Vidéo : Plus qu'une vidéo, un reportage d'une heure. Oscar Brahim conduit son taxi 12 heures par jour. Dans le coffre de sa 504, il a tout en main pour détourner les affiches publicitaires qu'il croise. Un taxista, un artiste, un rêveur ? Tournée en pleine tourmente de la crise de 2001, ce reportage est sortie en 2004. Le réalisateur est Sergio Morkin. A voir absolument !

nullLe stress de rentrer dans tes frais le plus vite possible pour commencer à gagner de l’argent :

 

Un taxi sait qu’il peut faire 100 pesos en une heure et ensuite passer trois heures à tourner rond dans les rues pour faire monter un client. Daniel, marque 800 pesos sur un carnet et commence ensuite a décompter les courses pour voir vers quelle heure il arrive à zéro et commencer réellement à gagner de l’argent. Avec un peu de chance, ce moment arrive vers 16h ! A partir de ce moment, il commence à se tranquilliser, il lui reste au moins 5 heures pour se faire de l’argent. Il faut alors foncer et ne pas perdre de temps.

C’est ça la grande différence entre être son propre patron et posséder son taxi, et n’être qu’un simple chauffeur d’un taxi en location.

Le taxi propriétaire, s’il a un coup de flemme ou de fatigue il peut rentrer chez lui. Il a le temps de s’arrêter pendant la journée pour déjeuner et même le temps de faire une sieste, le siège incliné à l’ombre d’un arbre. Pour celui qui loue, c’est un luxe. Chaque heure qui passe et chaque arrêt, ce sont des minutes de moins qui restent pour arriver à « juntar plata » (amasser de l’argent). « Ce travail génère du stress qui génère ensuite une addiction. S’il y a du travail, tu restes dans les rues, et tu continues. Il y a même des passagers prévenants qui me disent d’arrêter et de rentrer chez moi » ajoute Stella. « Ca demande aussi beaucoup d’attention, sans arrêt, ce n’est pas comme avoir un travail dans un bureau ou tu peux rêvasser quelques minutes ».

nullDevenir esclave d’un créancier pour sortir de l’engrenage de la location : 

 

Francisco, celui qui est taxi depuis 2000, s’est fatigué de louer et d’enrichir le dueño du véhicule, il a décidé de devenir lui-même propriétaire. Pour obtenir de l’argent et acheter sa licence, il n’est pas facile en Argentine d’obtenir un crédito auprès d’une banque. Le système financier étant ce qu’il est aujourd’hui, la seule possibilité d’avoir accès a un prêt et de se tourner vers un usurier (totalement illégal aussi en Argentine). D’ailleurs pour les taxis, c’est l’unique possibilité d’obtenir du crédit.  Au début tout allait bien, puis avec le blocage des devises (on le nomme « Cepo bancario » en Argentine qui est intervenu en novembre 2011), ce fut catastrophique. Car tout crédit (d’usurier) se calcule en USD et non en pesos Avec à partir de novembre 2011, le blocage, le dollar parallèle est devenu la référence pour l’achat de dollar pour le remboursement du prêt. Il doit rembourser 400 usd par semaine, avant il fallait 2.000 pesos pour arriver à acheter cette somme dans les casas de cambio, aujourd’hui il lui faut 4.000 pesos pour les acheter dans les « cuevas » (endroit ou on achète et ou on vend des devises étrangère de manière illégale).

« Le Loyer du taxi, devrait être calculé sur un pourcentage du montant des courses de la journée » dit Francisco. « Avant il y avait des chauffeurs qui avait un matelas dans leur coffre et qui dormaient dans leurs taxis et se douchaient dans les stations de service. Aujourd’hui tu croises des chauffeurs de taxis barbus, les yeux rouges de fatigue.  Il y en a qui dorment seulement trois ou Quatre heures dans leur voiture, qui passent des jours sans rentrer chez eux, et après, bien sur, on ne s’étonne plus du nombre d’accidents ». Plus étonnant non plus de voir une progression des ventes dans les stations service de boissons énergisantes.

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Photos : Quelques exemples illimités de taxis qui s'endorment !

nullDevenir malhonnête pour arriver à son chiffre :

 

 Voilà donc aussi pourquoi, les taxis (certains) deviennent malhonnêtes pour arrondir leurs journées. Ils ont tout d’abord l’impression d’avoir gagné à la loterie quand un passager leur tend une adresse écrite sur un morceau de papier. (Forcement un étranger ou tout simplement un provincial qui ne connaît pas du tout la ville). « Celui là, il est mort !....”  s’esclaffe Germán dans une cascade de rires, chauffeur de taxi, qui pour des raisons bien évidentes, ne veut pas dire son nom. Pendant des années il a travaillé à un arrêt des plus « chauds ». « Cela parait irréel, mais sachez que des taxis travaillent encore à Buenos Aires en faisant croire que le compteur indique des dollars et non des pesos ! » rajoute t’il.(Depuis décembre 2001, le peso ne vaut plus le dollar). Et précise que « les plus gros piégeons sont les canadiens et les états-uniens, ils te payent sans broncher. Pour les brésiliens, ce qui marche c’est de leur dire que ce sont des réales (x 2,5 la valeur du peso), ils gueulent un peu mais payent ! »

Aux arrêts ou travaille German, le seul compteur qui marche, ce n’est pas celui de son taxi, mais celui de sa montre. Le prix est fixé à la gueule du client… et on paye avant de monter dans son véhicule.

A certaines stations de taxis (Ezeiza, Aeroparque, Retiro, Terminal passagers du port), certains chauffeurs ne touchent aucun argent pendant la journée, mais à la fin de celle-ci, va au bureau de la compagnie de taxi pour toucher son du et décide sur le moment s’il veut être payé en pesos, dollars ou réales. Ce qui transforme aussi certains gros arrêts « chauds » de Buenos Aires en « cuevas » pour taxistas.

nullLes arnaques les plus habituelles :

 

A Aeroparque et à la Terminal de bus de Retiro, presque tous les taxis travaillent au « Piripipi » (compteur trafiqué qui tourne plus vite). Ces taxis racontent à leurs passagers qu’ils peuvent être tranquilles, qu’eux travaillent au compteur et qu’ils sont bien plus honnêtes que leurs autres confrères, en fait c’est pire ! Une course de 40 pesos se transforme alors en course à 70 pesos.

En lunfardo (argot) on dit que les compteurs (avec le système piripipi) « largan humo » (lâche de la fumée).

Le bon pigeon aussi (donc le client idéal), est la personne âgée. Elles arrivent à la Terminal de Retiro d’une lointaine province et ne connaissent rien de la ville. C’est le moment donc de sortir les faux billets (toujours de 100 pesos). Au moment du paiement, le taxi s’offense d’être payé avec un faux billet de 100 pesos (c’est lui en fait qui vient de changer le vrai que lui a donné le petit vieux en un sublime faux), il retourne donc aussitôt le faux de 100 et réclame un autre billet. Voilà donc en plus du prix de la course, un bénéfice fait sur le change d’un billet de 100 pesos vrai contre un faux. Le taxi achète les faux de 100 pesos à une valeur de 25 pesos (Bénéfice 100-25 = 75 pesos).

 Autre combine aussi, très pratiquée, c’est d’arriver devant un hôtel (de luxe de préférence), et de dire au passager (si il est seul) d’aller chercher le concierge pour sortir les valises. Lorsqu’il revient avec le concierge, le taxi est déjà loin (avec les bagages).

 Certains autres taxis, se donnent même le luxe de ne pas faire payer le client (il y en a qui les font quand même payer) quand ils les amènent aux boutiques de vêtements de cuirs, restaurants, cabarets, musées et certains clubs de football de première division (Boca par exemple pour ne pas le nommer). Si le touriste dépense, le taxi a un pourcentage.

 Enfin un autre classique (que de très nombreux jeunes touristes ont droit), « la loteria nocturna » la tournée des borrachos ! Ceux qui ont un coup dans le nez et qui sortent des boites à 5 ou 6 h du matin et de préférence seuls. Ils s’endorment sur la banquettes arrières, le taxi lui fait les poches (argent, portable, ipod etc…) et certains sympathiques les conduisent quand même à l’adresse qu’ils avaient donné, sinon on le dépose contre un mur au premier coin de rue.

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Vidéo : Extrait d'une emission de National Geographic sur les escroqueries de Buenos Aires. Le coup du faux billet de 100 pesos. (2013).

nullLe plus juteux, les escales de croisières :

  

Les meilleures affaires pour le taxi, les descentes des croisières au port de Buenos Aires. Sachez que ce sont les meilleurs clients étrangers pour les achats de drogue. Ben oui, ça casse peut être un peu l’image des croisières !  Donc le taxi l’emmène directement à la villa 31 (pas très loin), ou les taxis ont l’habitude de se fournir, le client reste dans la voiture, le taxi va acheter aux narcos, et tout le monde est comptant.

En plus des touristes des croisières il y a aussi les équipages des croisières qui dépensent bien plus (le soir) et dans des plaisirs identiques (drogues) mais surtout tout ce qu’on nomme ici les « cabarets » (vous aurez compris que les danseuses n’y sont pas que pour danser). Le taxi attend à la porte, et plus l’équipage dépense, plus le taxi y gagne. Autant attendre à la porte et en profiter pour dormir, le compteur des dépenses en dollars tourne tout seul !

La saison des croisières commençant d’octobre et terminant à mars, certains y font leur année. Il n’est pas rare durant ces mois, de voir des chauffeurs de taxi ne pas rentrer chez eux pendant trois ou quatre jours, profitant des attentes pour dormir.

 

Si vous n'avez pas encore lu le premier article sur les taxis, allez voir sur : A savoir avant de prendre un taxi.

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